Le bijou ancien, objet d’histoire et d’émotion
Plus que tout autre objet, le bijou entretient un rapport avec l’intime. À l’intimité du corps, lorsqu’il est porté à même la peau, mais aussi à la vie privée, familiale ou sentimentale. Acheter un bijou ancien, c’est donc toujours faire l’acquisition d’une pièce chargée d’histoire et d’émotion… À condition de s’assurer au préalable que la pièce est bien ancienne ! Selon les règles du marché, un bijou est considéré comme ancien lorsqu’il a été réalisé il y a 50 ans ou plus. Mais l’ancienneté ne caractérise pas toujours le style, et certaines pièces, datant parfois de plusieurs siècles, sont d’une surprenante modernité par leur design et peuvent se confondre avec des bijoux contemporains.
La fabrication, les motifs ou encore la couleur du métal sont autant d’indices qui permettent de rattacher chaque création à une époque et ainsi d’établir la datation. Ainsi, le premier réflexe est toujours d’analyser un bijou pour y voir les signes permettant d’attester son ancienneté.
Acheter une pièce vintage ou ancienne n’est jamais une démarche classique. À la différence d’une pièce contemporaine, où notre choix peut être appuyé par une mode ou une tendance, sélectionner un bijou qui a déjà vécu une ou plusieurs vies suppose de disposer d’une culture de la bijouterie, mais aussi de connaissances précises et de quelques références. Pour Marie Chabrol « S’acheter une bible » est essentiel. Parmi les ouvrages incontournables, « La bijouterie française au XIXe siècle » de Henri Vever est certainement l’un des livres les plus complets. D’ailleurs, une quantité illimitée d’informations et de documentation est aujourd’hui en accès libre. Des musées aux bibliothèques en passant par la multitude de blogs dédiés, chaque amateur peut apprendre et de se constituer un socle de connaissances solides sans nécessairement s’engager dans une formation ou un cursus universitaire.
Savoir reconnaître et identifier un bijou
Une signature, un numéro d’inventaire ou un poinçon d’orfèvre sont autant d’indices qui permettent de retracer l’histoire d’un bijou et de deviner avec une certaine précision l’année à laquelle il fut créé ou de remonter jusqu’à la main qui l’a dessiné… Si la signature d’un grand joaillier peut donner à un bijou une valeur considérable, les pièces non signées réservent souvent quelques (très) belles surprises. La découverte d’une signature permet d’identifier facilement une pièce, mais il faut savoir que certains grands joailliers n’ont jamais signé leurs créations. C’est par exemple le cas de la créatrice française Suzanne Belperron qui affirmait avec fierté « Mon style, c’est ma signature ». Face à ces réalisations à première vue « anonyme », c’est seulement l’expérience acquise au fil des années qui va permettre de faire le rapprochement avec un joaillier ou d’une maison. L’authentification peut aussi se faire en sollicitant un expert spécialisé, qui pourra établir un certificat d’authenticité.
Si les pièces signées sont indiscutablement les plus valorisées actuellement sur le marché des bijoux anciens, d’autres détails ont également leur importance. Les poinçons de maître sont d’excellents marqueurs, et à ce titre méritent une attention toute particulière lors de l’expertise. Lorsqu’ils sont lisibles, ils permettent de remonter jusqu’à l’atelier de réalisation, et quelquefois, ils augmentent considérablement la valeur d’une pièce. Longtemps ignorés et mal connus, les poinçons bénéficient depuis quelques années d’un regain d’intérêt stupéfiant. Il faut dire qu’avant que la « science des poinçons » n’occupe une si grande place dans le domaine de l’expertise, de nombreux bijoux anciens n’étaient souvent pas attribués correctement, et à défaut souvent considéré comme « anonyme ». Aujourd’hui, pour les collectionneurs comme pour les experts, le plus excitant est de découvrir sur un bijou le poinçon d’un atelier de renom près d’une signature prestigieuse. Si elle suppose un grand travail de recherche, l’analyse des poinçons permet de faire de merveilleuses découvertes. L’experte Céline-Rose David livre une anecdote à propos d’un bracelet Hermès destiné à être vendu aux enchères et sur lequel elle eut la chance de repérer le poinçon de Georges Lenfant. Cette trouvaille permit de mobiliser de nombreux collectionneurs lors de la vente et d’obtenir au final un prix d’adjudication deux fois plus important selon elle.
Mais ce que révèlent surtout les poinçons, c’est tout un pan d’histoire de la bijouterie encore trop peu connu : celui de la sous-traitance. Derrière chaque grande signature, il y a toujours de nombreuses « petites mains » souligne la journaliste Diotima Schuck. Il ne faut pas oublier qu’à l’époque, pour réaliser un bijou, c’est parfois 15 ou 20 personnes qui interviennent : dessinateurs, orfèvres, revendeurs, sertisseurs, joailliers, polisseurs, graveurs…. Remonter l’histoire d’un bijou, c’est tenter d’élucider tous les mystères qui entourent sa création et sa réalisation. Depuis ces dernières années, ces ateliers de sous-traitance, qui avaient pourtant à l’origine vocation à rester dans l’anonymat le plus total, connaissent une revalorisation inédite.
Provenance, restaurations et coup de coeur
Acheter un bijou ancien, c’est toujours remonter le fil de son histoire, découvrir qui l’a dessiné, réalisé ou vendu, mais c’est aussi en apprendre davantage sur celui qui l’a porté ou la famille dont il provient. Une pièce ayant appartenu à une personnalité ayant marqué son époque où l’histoire peut voir sa valeur décupler. Certaines provenances sont quelquefois documentées par des correspondances, des bons de livraison ou des photos d’archives. Un blason peut aussi être un excellent indicateur et livrer une piste passionnante à explorer. Pour remonter l’histoire d’un bijou, il ne faut pas hésiter à vérifier si des archives publiques ou privées existent et à les consulter lorsque celles-ci sont accessibles.
Tous les bijoux anciens ont cette particularité d’avoir su traverser le temps pour nous parvenir, mais tous n’ont pas passé cette épreuve avec la même facilité. Certaines pièces ont occasionnellement eu « besoin que l’on les aide à traverser les années » souligne Marie Chabrol, pour qualifier les objets qui ont subi des restaurations. Si les réparations et transformations font indiscutablement partie de l’histoire du bijou, elles peuvent dans certains cas modifier sa nature. Des incohérences dans le bijou ou de légères marques de soudures peuvent ainsi trahir des restaurations antérieures. Si ces pratiques de préservation sont encore « culturelles » et divergent selon les pays, l’essentiel est qu’une restauration ne gêne pas la lecture de l’objet et préserve l’esprit du créateur.
La meilleure manière d’acheter une pièce ancienne sans se tromper est toujours de se rapprocher d’experts et de professionnels. Échanger avec des connaisseurs et des passionnés reste la voie la plus sûre pour bénéficier de conseils avisés. Si le bijou de vos rêves apparaît dans une salle de ventes aux enchères ou sur un salon, vous aurez la chance de pouvoir échanger avec un professionnel et d’être conseillé. Mais parce que chacun peut avoir une perception différente d’un même objet, il est important de se fier également à son propre ressenti. Examiner le bijou, questionner l’expert et enfin comparer la pièce avec d’autres réalisations de la période ou du joaillier vous permettra de juger de sa qualité et de déterminer si c’est sur ce joyau que vous désirez jeter votre dévolu !
Pour aller plus loin :
Rémi VERLET, Dictionnaire des joailliers, bijoutiers et orfèvres en France, de 1850 à nos jours, composé de 2 volumes (un dictionnaire et un index), Édition de l’École des Arts Joailliers avec le soutien de Van Cleef & Arpels, Paris, 2022
Henri VEVER, La Bijouterie française au XIXème siècle (1800- 1900), H. Floury Libraire-Editeur, Paris, 1906 Cet ouvrage est intégralement accessible sur le site de la BNF : https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k63791089/f30.item.texteImage.zoom