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L’approvisionnement en gemmes au service de la joaillerie

today16 May 2023

Written by: Justine Lamarre

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Diamants ou pierres de couleur, quelles seraient les conséquences sur l’industrie de la bijouterie et de la haute joaillerie si demain les pierres précieuses venaient à manquer ? 

C’est une question qui fait peur, pourtant aujourd’hui l’approvisionnement en gemmes est une problématique complexe à laquelle tous les professionnels de la joaillerie doivent être sensibilisés, à commencer par les designers et les créateurs. 

Comment imaginer un bijou sans s’assurer au préalable que les pierres nécessaires à sa réalisation sont disponibles sur le marché ? L’accessibilité aux gemmes conditionne tout processus de création, car un béryl rouge ou une opale noire qui serait introuvable, c’est un retard de production ou un surcoût de fabrication à envisager… Le pire scénario serait bien sûr celui d’un bijou qui ne verrait jamais le jour faute d’approvisionnement. 

APPRÉHENDER LES PROBLÉMATIQUES DE L’APPROVISIONNEMENT

Volatilité des ressources  

La découverte d’un gisement, qu’il s’agisse de diamants ou de pierres de couleur, se fait toujours de manière inopinée. Et de la même manière que sa découverte est aléatoire, son exploitation l’est tout autant. La quantité et la qualité des gemmes étant liée à la géologie des sols, l’approvisionnement est intrinsèquement instable. Il fluctue inévitablement en fonction des nouveaux gisements mis à jour, et du rythme auquel se fait l’extraction. Ainsi, l’appauvrissement des ressources est variable d’une mine à une autre, certaines s’épuisant en quelques semaines lorsque d’autres alimentent des filières d’approvisionnement durant plusieurs mois ou pendant de nombreuses années.  

Géopolitique et fragilité des filières d’approvisionnement

Designers, gemmologues, négociants ou importateurs, tous les professionnels doivent être conscients que la géopolitique est inhérente aux problématiques d’approvisionnement. Aujourd’hui, l’éclatement d’un conflit peut provoquer l’arrêt immédiat d’une activité minière ou déclencher des mesures de restrictions commerciales à l’encontre de certains pays. L’actuel embargo sur les diamants russes illustre très pertinemment ce risque. Pour le négociant Raj Mehta, représentant de la firme Rosy Blue, l’un des plus gros acteurs de référence dans l’industrie du diamant – l’enjeu le plus important est d’être capable de faire face à ce type de situation soudaine en s’adaptant immédiatement. D’ailleurs, en 2022, de nombreux professionnels ont dû réorganiser leurs réseaux d’exploitation et se tourner vers de nouveaux partenaires pour continuer à s’approvisionner en diamants. Les filières d’approvisionnement se sont majoritairement recentrées vers le Canada et le Botswana pour répondre à la demande du marché.

Stock, qualité et intuition…  

Embargo politique ou épuisement des gisements, le plus grand risque concernant l’approvisionnement en gemmes est inévitablement celui de la rupture des chaînes de production et de distribution. Alors comment éviter la pénurie et prévenir ses conséquences dramatiques ? Pour le négociant en pierres précieuses Mathieu Tharin, la solution est évidente et tient en un mot : stocker.

Constituer des réserves de pierres est la seule option pour pouvoir répondre positivement à la demande du marché si demain tous les réseaux d’extraction et d’exportation devaient être hors service. Cependant le risque de ne pas parvenir à écouler son stock est une menace réelle. Pour éviter ce danger et constituer un stock à forte valeur ajoutée, le négociant parisien préconise de privilégier la qualité avant tout. Une pierre de bonne qualité, c’est une pierre qui valorisera forcément avec les années.

Un bon négociant doit aussi être un visionnaire. Investir avant l’heure sur de nouveaux gisements peut s’avérer être une stratégie gagnante pour constituer un stock. Pour preuve, au début des années 2000, le grenat spessartite du Nigeria fait son apparition sur le marché. Pourtant à ses débuts, cette nouvelle gemme suscite peu d’enthousiasme auprès des joailliers et négociants, malgré un index réfringent supérieur à celui du saphir et un prix accessible oscillant entre 100$ et 150$ le carat. C’est seulement vers la fin des années 2000, lorsque sa couleur brun / orange connaît un regain d’intérêt, que sa côte s’envole. Cet exemple n’est pas un cas à part, mais une véritable tendance, puisque l’analyse des gisements de pierres de couleurs découverts durant les 20 dernières années, a permis de démontrer que la valeur de ces gemmes n’a fait qu’augmenter avec les années.

VERS UNE  DURABILITÉ DE L’APPROVISIONNEMENT

Changer notre regard sur les pierres traitées

Si stocker est une alternative efficace pour garantir l’approvisionnement en gemmes, cette pratique fait émerger de nouveaux challenges, car toutes les pierres ne résistent pas de la même manière aux affres du temps. À la différence du diamant qui est impérissable, certaines gemmes comme l’opale ou le saphir peuvent se dégrader avec les années, le risque majeur pour l’investisseur est alors de voir son stock se déprécier. Si le stock doit être pensé comme un investissement à forte valeur ajoutée, comment y parvenir lorsque l’on prend le risque de conserver des pierres dites « fragiles » ? L’une des alternatives proposées par la gemmologue Chloé Picard est le recours aux traitements. Si cette pratique divise aujourd’hui les acteurs du marché, pour l’experte elle représente une possibilité de réguler l’approvisionnement en optimisant l’offre. Certaines techniques, comme les traitements dits  « basse température » permettent de renforcer la solidité d’une pierre sans en modifier l’apparence, et ainsi la rendre plus durable. Et si faire évoluer notre regard sur les traitements permettait de créer des chaînes d’approvisionnement viables ? C’est une piste de réflexion que Chloé Picard suggère d’explorer.  

Créer de la désidérabilité sur les matériaux atypiques

Saviez-vous que seulement 1% de la production d’une mine compte parmi les pierres « les plus recherchées du marché » ? Les 99% de pierres restantes sont malheureusement difficilement commercialisables, car mal connues du grand public. Pourtant, la plupart d’entre elles possèdent des propriétés intéressantes qui mériteraient d’être valorisées par un storytelling puissant. Un marketing efficace pourrait permettre de séduire davantage les consommateurs, et de créer une demande plus forte sur certaines pierres. Susciter de la désidérabilité sur ces matériaux atypiques peut être une manière de réguler les filières d’approvisionnement, c’est en tout cas la voie que préconise la géologue Lauriane Pinsault, fondatrice du cabinet d’expertise GeoGems.

Repenser l’économie des gemmes  

Développer des chaînes d’approvisionnement plus durables, c’est aussi envisager de nouveaux modèles économiques. Si aujourd’hui l’activité d’une mine se résume essentiellement à extraire des gemmes et les vendre, peut-être faudrait-il demain envisager de les stocker ? C’est la question que pose Lauriane Pinsault. En effet, en vendant immédiatement la totalité de leur production, les exploitants de mines s’exposent à une cessation brutale d’activité lorsque le gisement est épuisé. Or, en stockant une partie des ressources extraites, la vente de la production pourrait se poursuivre après la fin de la période d’extraction, assurant alors à la mine, et à son personnel, une continuité financière. Pour la géologue, repenser le rôle des sociétés d’exploitation minière peut permettre de faire émerger de nouveaux modèles économiques capables de pérenniser les chaînes d’approvisionnement. 

POUR CONCLURE  

À ce jour, la seule manière de réguler et de maîtriser efficacement l’approvisionnement en gemmes est de s’informer continuellement sur la découverte de nouveaux gisements, l’état d’épuisement des mines et l’évolution des cours. Toutes ces informations permettent d’appréhender avec discernement les enjeux à venir en matière d’approvisionnement. 

Les technologies capables d’anticiper les futures tendances du marché ne cessent de performer. Contribuant à réguler la production, et donc in fine à préserver les ressources, c’est un outil puissant qui permet de tendre vers un approvisionnement plus durable.

 

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