« Sans fermoir, un collier ou un bracelet ça n’existe pas. »
La citation est d’Anna Tabakhova et elle résume parfaitement la démarche dans laquelle cette créatrice de bijoux s’est engagée en 2004. Fascinée par les systèmes d’ouverture et de fermeture des bijoux, ces mécanismes qui révèlent toute l’ingéniosité et la créativité des artisans bijoutiers du monde entier, la bijoutière entreprend un projet ambitieux : retracer la grande histoire du fermoir en bijouterie.
En 2013, le Musée des Arts Décoratifs de Paris l’invite à partager ses recherches le temps d’une conférence inédite. Face à l’immense curiosité du public pour ce thème trop peu exploré, Anna Tabakova décide d’éditer ses découvertes et publie en 2016 Le fermoir en bijouterie, 4 000 ans d’histoires. Ce livre, qui connaît un succès international lors de sa parution, reste à ce jour le seul ouvrage de référence sur le sujet.
4 000 ans d’ingéniosité
Incluant toutes les époques et toutes les civilisations, le travail de recherche d’Anna Tabakhova a permis de mettre en lumière toutes les techniques de créations développées autour de l’art du fermoir.
Si les premiers bijoux équipés d’un système de fermeture apparaissent il y a 4 000 ans, les bijoux réalisés par les Égyptiens durant la période antique permettent déjà d’observer que les premiers exemples de fermoirs sont extrêmement élaborés et que l’esthétique ne vient jamais après la fonctionnalité. Dès les premières expérimentations, les joailliers développent des mécanismes qui conjuguent beauté et praticité. Le fermoir n’a pas vocation à être seulement pratique, il doit s’inscrire dans la ligne esthétique du bijou.
S’offrent alors aux bijoutiers deux possibilités : réaliser des fermoirs qui se dissimulent parfaitement dans le bijou, ou à l’inverse imaginer des fermoirs visibles et décoratifs. Les bracelets découverts dans le sarcophage du Pharaon Toutânkhamon illustrent à merveille la seconde tendance, le fermoir prend des allures de scarabée de lapis-lazuli et constitue même la partie centrale du bijou. Délicatement travaillé, orné de pierres semi-précieuses, le fermoir a vocation à être montré et porté sur le dessus du bras.
Une multitude de styles, de mécanismes et de typologies d’usage
Originalité, technicité ou encore simplicité, depuis 4 millénaires la pluralité des démarches créatives a donné vie à une multitude de fermoirs. Ainsi, il n’y a pas une histoire du fermoir, mais une histoire des fermoirs. Inspirant les créateurs de bijoux de toutes les époques, de nombreux joailliers ont fait preuve d’une étonnante inventivité dans la manière d’aborder le fermoir.
Qu’il se ferme dans le cou ou prenne la forme d’un pendentif, qu’il soit amovible, interchangeable ou transformable, le fermoir se décline en différents styles et mécanismes.
Survolant tous les univers créatifs, de la joaillerie à la bijouterie fantaisie sans oublier les bijoux régionaux et traditionnels ou encore les bijoux d’artistes, Anna Tabakova a répertorié à ce jour une trentaine de systèmes existants qu’elle a classifiés par « typologies d’usage ».
L’historienne s’est aussi penchée sur l’étude de bijoux dépourvus de fermoirs, comme le mythique collier Comète imaginé par Gabrielle Chanel en 1932 pour la collection Bijoux de diamants. La créatrice de mode, qui « détestait » les fermoirs, imagine un collier rigide qui épouse la nuque et dont les filaments de diamants habillent le décolleté. Aucun dispositif de fermeture n’est nécessaire, car c’est le corps qui fait office de fermoir.
Si certains systèmes de fermeture sont extrêmement conceptuels, d’autres sont en revanche simples et rudimentaires, à l’image du nœud coulissant que l’on retrouve dès la période antique sur certains bracelets ou colliers.
La révolution de la boîte-cliquet
À l’inverse, d’autres mécanismes témoignent d’une technicité particulièrement surprenante, comme la boîte-cliquet, système qu’Anna Tabakova n’hésite pas désigner comme « le roi des fermoirs ».
Ce système, que l’on peut qualifier de « contemporain », car couramment utilisé dans l’univers de la bijouterie aujourd’hui, est le dispositif d’ouverture le plus abouti et celui qui a connu le plus
grand succès depuis son invention.
Avant l’apparition de la boîte-cliquet, et jusqu’au 17ᵉ siècle, la plupart des colliers et bracelets ne possèdent pas de fermoirs, ils se nouent délicatement à l’aide de rubans, ou bien sont cousus à même le vêtement. Incontournable, la boîte-cliquet signe une véritable révolution dans l’histoire de la bijouterie.
Probablement apparu au 16ᵉ siècle, les premiers modèles sont constitués d’un boîtier de forme carré dans lequel s’insère une lame de métal repliée sur elle-même. L’une des plus belles illustrations connues fut peinte par François Clouët en 1571. Dans un tableau réalisé par le peintre français, Diane de Poitiers est représentée portant un bracelet équipé de ce célèbre fermoir.
Une fois que la lame est contenue dans le boîtier, elle ne peut ressortir et maintient ainsi le bijou fermé. Système rapidement apprécié, la boîte-cliquet connaît plusieurs améliorations, comme notamment l’apparition d’une perforation au-dessus du boîtier qui permet, grâce à une aiguille, d’exercer une pression sur la lame et ainsi la faire ressortir plus facilement.
Sans cesse perfectionné, ce système a permis de faciliter et de « démocratiser » le port des bijoux. Largement utilisé, ce fermoir équipé d’un poussoir fut décliné en plusieurs versions, le poussoir se situant parfois sur le côté ou au milieu de la boîte. Se retrouvant autrefois sur les bijoux les plus délicats et raffinés, le fermoir à cliquet est aujourd’hui utilisé dans l’univers de la haute-joaillerie, comme dans la bijouterie fantaisie.
Réinterpréter le fermoir…
Au fur et à mesure de ses recherches, Anna Tabakova a constitué l’une des plus belles collections de fermoirs anciens et modernes. Composé de près de 130 modèles, cet ensemble — malheureusement visible dans aucun musée à ce jour — offre un panorama sur toutes les possibilités créatives qu’offre l’art du fermoir aux designers et créateurs de bijoux contemporains.
C’est d’ailleurs en regardant la manière dont s’ouvre et se ferme chaque bijou, qu’Anna Tabakova ose en 2007 faire du fermoir l’axe de création de sa ligne de bijoux et développe toute une collection équipée de fermoirs interchangeables.