L’Inde occupe une place unique dans l’histoire de la joaillerie, et plus encore Golconde, cette région du Deccan d’où furent extraits des diamants légendaires tels que le Koh-i-Noor, le Great Mogul ou le Hope. Aujourd’hui pourtant, l’appellation « Golconde » est parfois appliquée à des pierres qui n’en sont pas issues. En raison de leur pureté atomique et de leur transparence optique exceptionnelle, certains diamants sont qualifiés de « type Golconde ». Mais cette désignation entretient une confusion…
Des diamants mythiques
Les plus anciens diamants du monde
De l’Antiquité jusqu’en 1730, l’Inde demeura l’unique source de diamants dans le monde. C’est au cœur du mythique royaume de Golconde que furent découverts les premiers joyaux, dont la pureté et la brillance allaient marquer l’imaginaire collectif. Les plus beaux spécimens en furent extraits, au point de nourrir la conviction que cette région abritait une géologie singulière, presque miraculeuse.
Les travaux des géologues modernes ont levé le voile sur ce mystère et mis en évidence la présence de deux roches volcaniques rares : la kimberlite et la lamproïte. Vieilles de plus d’un milliard d’années, elles comptent parmi les formations géologiques les plus anciennes de la planète. Ce sont elles qui ont servi de conduits naturels permettant aux diamants, nés dans les profondeurs du manteau terrestre, de remonter vers la surface sous l’effet de gigantesques mouvements magmatiques.
Cependant, si Golconde a longtemps incarné le berceau exclusif de ces gemmes, ce phénomène géologique n’est pas unique. Des traces de kimberlite et de lamproïte ont également été découvertes en Afrique et en Australie, confirmant que la genèse des diamants de Golconde est un héritage minéral partagé par plusieurs continents.
Les premiers diamants de l’histoire de la joaillerie
Et si l’on devait remonter aux origines des diamants de Golconde pour saisir ce qui fait leur singularité ? C’est la démarche adoptée par Capucine Juncker, autrice du premier ouvrage consacré à ces pierres légendaires. Elle souligne combien les textes anciens constituent une source précieuse, permettant de retracer l’histoire et le lieu d’origine de ces joyaux mythiques.
Si aujourd’hui Golconde est assimilée à une région minière située dans l’actuel état du Telangana, il faut garder à l’esprit que cette zone n’a pas toujours été clairement délimitée : elle s’est progressivement élargie au fil des siècles. L’Arthashastra, traité indien rédigé au VIᵉ siècle avant notre ère et redécouvert en 1905 après des siècles d’oubli, révèle que Golconde fut d’abord une ville dans laquelle se structura dès l’Antiquité une véritable économie du diamant.
Contrairement à une idée répandue, Golconde n’était pas une mine, mais un lieu d’échanges où transitaient toutes les pierres extraites des gisements environnants. Historiquement, le nom renvoie donc moins aux diamants eux-mêmes qu’à l’activité de négoce qui leur conféra une renommée internationale.
Déjà au Ier siècle, Pline l’Ancien, référence incontournable de l’Antiquité, mentionne Golconde et l’engouement suscité par ses diamants à Rome. Il décrit ces navires quittant l’Empire romain pour l’Inde, chargés de se procurer épices et textiles, mais également ces joyaux, revendus ensuite à leur retour jusqu’à cinq fois leur prix d’achat.
Les diamants les plus convoités depuis l’Antiquité
Dès l’Antiquité, Golconde apparaît comme le centre autour duquel s’organise le commerce du diamant. Les traités lapidaires hindous divergent sur la date des premières extractions : certains la situent au VIᵉ siècle avant notre ère, d’autres au IXᵉ siècle après J.-C. Mais tous s’accordent à souligner l’exceptionnelle beauté, la rareté et la dureté des pierres de Golconde. Ces qualités hors du commun en firent des joyaux ardemment convoités par les puissants d’Inde et d’ailleurs.
Si dès l’Antiquité, les Romains cherchent à s’approprier ces trésors, c’est sous l’Empire moghol, à partir de 1526, que la richesse diamantifère de Golconde devient l’objet de toutes les convoitises. Au XVIᵉ siècle, la découverte de nouvelles routes maritimes permet aux marchands et voyageurs européens d’accéder plus facilement à ces gemmes, qui circulent alors de l’Inde vers le Portugal, l’Angleterre, la France, la Hollande et toutes les grandes cours d’Europe. Pour répondre à cette demande croissante, le petit fort de Golconde se transforme en une imposante forteresse, dans laquelle vivent et travaillent plus de 60 000 personnes. Sous l’autorité des sultans Qutb Shâhi, Golconde prospère, sa richesse reposant essentiellement sur l’extraction et le commerce des diamants.
Ces ressources, considérées comme inépuisables, attisent bientôt la convoitise des princes moghols, qui prennent le contrôle du territoire en 1687. Par la suite, les Nizams d’Hyderabad, souverains de cet État princier autonome, s’approprient à leur tour Golconde, dont les mines feront la fortune jusqu’en 1948.
Golconde n’est pas seulement un territoire : c’est une notion plurielle et évolutive. Elle désigne tour à tour un lieu d’échanges, un royaume, une forteresse et une région diamantifère. Au fil des siècles, ce nom s’est réinventé et s’est imposé dans l’imaginaire mondial grâce à l’extraction, au négoce et à l’introduction de ses pierres dans les plus prestigieuses cours impériales et royales. Golconde demeure ainsi une référence historique sans équivalent.
Existe-t-il des critères d’identification d’un Golconde ?
L’étude des traités lapidaires indiens anciens, dont la plupart sont rédigés en sanskrit, révèle que dès l’Antiquités des croyances sont attribuées aux pierres, ce qui, en fonction qu’il s’agisse de vertus protectrices ou de propriétés nocives, augmente ou réduit leur désidérabilité. C’est seulement à partir du IVᵉ siècle avant notre ère qu’apparaît un système de classification (proche de la règle des 4C) permettant d’apprécier les diamants de Golconde selon leur forme, leur couleur, leur pureté et leur poids. Mais est-il encore possible aujourd’hui de se référer à l’un de ces 4 éléments pour authentifier avec certitude un diamant de Golconde ?
Une forme irrégulière et un poids record
Les diamants de Golconde sont célèbres pour leurs dimensions remarquables. Le Hope (45,52 cts), le Dresde (40,70 cts) ou encore le Vittelsbach (31,06 cts) en sont des exemples emblématiques. Alors que près de 90 % des diamants se forment entre 150 et 250 km de profondeur, ces gemmes d’exception présentent une origine bien différente. À l’état brut, souvent irréguliers mais d’une pureté exceptionnelle (avec très peu d’inclusions), ils révèlent pourtant, grâce à leurs rares imperfections, une formation à des profondeurs aussi inhabituelles qu’extrêmes : entre 350 et 750 km dans le manteau terrestre. Leurs proportions exceptionnelles seraient donc le fruit de conditions de cristallisation particulières.
Mais ces diamants super profonds (superdeep diamonds) sont-ils exclusifs à Golconde ? À cette question, le Dr Michaël Mintrone apporte une précision importante : aujourd’hui, les gemmologues regroupent ces pierres sous l’appellation CLIPPIR (Cullinan-Like, Large, Inclusion-Poor, Irregular Rough). Ce terme, qui fait référence au Cullinan — le plus gros diamant brut jamais découvert, en Afrique du Sud — atteste bien que les diamants super profonds ne sont pas l’apanage de Golconde, mais témoignent d’un processus géologique rare observable dans différentes régions du monde.
Couleur D exceptionnelle et grande pureté ?
Si les diamants de Golconde furent dès l’Antiquité, puis à la Renaissance, si prisés des rois, des sultans et des négociants, c’est parce qu’ils présentent des propriétés gemmologiques particulières, notamment une grande pureté atomique et une transparence optique exceptionnelle, qui se traduit pour certains spécimens par une couleur plus incolore que D.
Cependant, il convient de nuancer : si de nombreux diamants historiques issus de Golconde présentent cette couleur D très recherchée, tous n’étaient pas incolores. Ainsi, le Beau Sancy, porté par Marie de Médicis lors de son sacre, affiche une teinte légèrement brune, certifiée de couleur K. Le diamant vert de Dresde, célèbre pour avoir été longtemps le plus gros diamant connu au monde (40,70 carats), échappe également à cette couleur D d’un blanc exceptionnel puisqu’il est vert transparent non fluorescent légèrement bleuâtre.
Le type IIa, une caractéristique propre aux diamants de Golconde ?
Selon qu’ils contiennent, ou pas, des atomes d’azote, les scientifiques catégorisent les diamants en deux « types » principaux : type I et type II. En gemmologie, le type II, est un terme qui désigne les diamants sans azote, parfaitement transparents aux UV, idéalement incolores et d’une pureté remarquable. Le type II se subdivise en deux catégories : le type IIa et le type IIb.
Si les diamants de type IIa, sont extrêmement rares (0,8% des diamants appartiennent à ce groupe), ils ont une autre spécificité : ils ne sont pas impérativement incolores, mais leur couleur peut varier du blanc exceptionnel, au brun ou au rose. D’ailleurs, le Beau Sancy ou le vert de Dresde sont des diamants appartenant au type IIa.
Mais si tous les diamants de Golconde sont le plus souvent de type IIa, tous les diamants de type IIa ne proviennent pas nécessairement de Golconde. Pourtant, une confusion s’est installée depuis ces dernières années entre « Golconde » et « type IIa », allant même jusqu’à provoquer l’apparition d’un nouveau terme :« Type Golconde ». Cette nouvelle désignation a créé un flou autour de la notion de « Golconde » et est depuis quelques années utilisée pour qualifier des pierres aux caractéristiques minérales hors du commun qui ne proviennent pas d’Inde, mais dont les propriétés gemmologiques se confondent avec celles des plus belles pierres provenant de Golconde.
Les grands diamants historiques de Golconde sont-ils tous de type II ?
L’étude scientifique des diamants de Golconde révèle que cette région a produit non seulement des diamants de type IIa, mais aussi de type IIb, caractérisés par la présence de bore. Ces derniers, eux aussi extrêmement rares, présentent des teintes allant du bleu au gris. Parmi les exemples les plus célèbres figurent le Wittelsbach, à la couleur bleu-gris intense, et le Hope, célèbre pour son bleu profond.
Cependant, comme le rappelle Capucine Juncker, Golconde n’a pas livré que des diamants de type II : la région a également fourni des pierres de type I. Associer systématiquement Golconde au type II constitue donc une erreur. Les textes anciens attestent en effet que les lapidaires hindous privilégiaient les formes octaédriques, caractéristiques de nombreux diamants de type I.
Golgonde, appellation historique ou provenance authentique ?
Dans l’imaginaire collectif, les diamants de Golconde évoquent des qualités exceptionnelles : une couleur D éclatante, une pureté parfaite, une taille remarquable ou encore des couleurs incomparables. Pourtant, tous les diamants de cette région ne présentent pas ces critères, et ceux-ci ne suffisent en aucun cas à attester de leur origine.
De fait, aucun critère gemmologique ne permet aujourd’hui de déterminer avec certitude qu’un diamant provient de Golconde. Malgré cela, certains laboratoires n’hésitent plus à employer la mention « type Golconde » dans leurs certificats, contribuant ainsi à entretenir une confusion. Or, il faut rappeler que « Golconde » est avant tout une dénomination historique et une appellation de prestige. La région ayant été l’unique source mondiale de diamants jusqu’en 1730, son nom reste associé à une origine mythique, particulièrement recherchée par les négociants, les historiens et les collectionneurs.
Mais alors, comment authentifier une pierre de Golconde ? À cette question, Capucine Juncker est catégorique : la seule méthode fiable consiste à s’appuyer sur les sources historiques. Inventaires d’époque, registres comptables des maisons de joaillerie et textes anciens constituent les seuls outils permettant de retracer l’histoire d’un diamant jusqu’à Golconde, cette forteresse indienne où commença la fabuleuse aventure de la haute joaillerie.
Pour aller plus loin :
Capucine Juncker recommande l’ouvrage « Les lapidaires indiens » écrit par Louis Finot et publié en 1896 par la librairie Émile Bouillon. Accessible en ligne via le site archive.org, ce livre détaille les règles qui guidèrent les lapidaires indiens dans l’estimation, l’appréciation et le commerce des pierres en Inde de l’Antiquité jusqu’à la découverte de nouvelles mines au Brésil.
Nos remerciements à :
Capucine Juncker, historienne et auteur de Diamants de Golconde, Édition Skira, 2024
Dr. Michaël Mintrone, Directeur du département Diamant, SSEF Gabrielle de Montmorin, historienne, auteur et journaliste joaillerie.