Comment interpréter les inclusions ? Que nous apprennent-elles sur les gemmes ? Quelle valeur ajoutée peuvent-elles apporter à une pierre ?
Ils enseignent la gemmologie, vendent et achètent des pierres d’exceptions, se sont spécialisés dans l’art de photographier les gemmes ou sont en charge de leur analyse en laboratoire ; pour eux, une pierre sans inclusions serait comme « une scène de crime sans indice », c’est-à-dire incompréhensible.
Pour Lauriane Pinsault, Marine Bouvier, Emmanuel Piat, Pierre Lefèvre et Colin Fonteyn, identifier une pierre, estimer son origine ou son âge, en révéler la beauté et s’en émerveiller est impossible sans observer ses inclusions.
Mais quelle importance accorde-t-on aux inclusions selon que l’on est gemmologue en laboratoire, enseignant en gemmologie, négociant en pierres ou photomicrographe ?
Portant un regard éclairant sur ces petites imperfections qui ont le pouvoir de « faire parler les pierres », quatre experts expliquent comment et pourquoi les inclusions rendent les gemmes qu’ils étudient, analysent, vendent ou achètent aussi spéciales et merveilleuses.
La science des inclusions
« Analyser l’inclusion que l’on voit, c’est comprendre la pierre ».
Pierre Lefèvre
Pour Pierre Lefèvre, responsable du département pierres de couleur et perles à l’institut Suisse de gemmologie (SSEF), les inclusions sont un objet d’étude incontournable. C’est en les observant et en les analysant au microscope que le gemmologue parvient à comprendre une pierre et à l’identifier. Pour tout scientifique, les inclusions sont une mine d’informations précieuses qui permettent de « faire parler » les gemmes.
Premièrement, parce qu’elles sont de précieux indicateurs sur la naturalité d’une pierre. Est-ce qu’une gemme est synthétique ou naturelle ? Pour répondre à cette question, il suffit d’identifier le type d’inclusions présentent à l’intérieur de la pierre. Les inclusions se répertorient en 3 grandes familles : solides, liquides et gazeuses. Chacune possède ses propres spécificités. Les inclusions solides, les plus courantes, sont définies par la présence de matière minérale ou organique emprisonnée dans la gemme. Lorsque les inclusions sont liquides, elles prennent la forme d’une bulle pouvant contenir de l’eau, du pétrole ou de l’huile. Les inclusions gazeuses s’apparentent à d’infimes cavités ou formes de fractures dans la matière. C’est en étudiant la forme, l’aspect ou la constitution des inclusions que le gemmologue parvient à déterminer si une pierre est naturelle ou de synthèse. L’étude des inclusions est donc la première étape dans le processus d’identification d’une gemme et de son authentification.
De la même manière, l’observation des inclusions permet d’estimer si la pierre a subi des traitements. De manière générale, les traitements visent à améliorer l’apparence d’une gemme en diminuant les inclusions, soit en modifiant leur apparence ou en les faisant disparaître. Ainsi, en laboratoire, lorsque le gemmologue observe à l’intérieur d’une gemme des inclusions qui en principe disparaissent par traitement thermique, il peut déduire que la pierre n’a pas subi de chauffe. Par exemple, la présence de diaspore dans un corindon peut amener à la conclusion que la gemme n’a pas été traitée thermiquement, car ce minéral résiste très mal à la chauffe et disparaît systématiquement quand la pierre a subi un traitement à basse température (500 / 650 °C).
Enfin, pour les scientifiques, une pierre possédant un bel ensemble d’inclusions offre la possibilité de déterminer son origine avec plus de certitude. Un saphir laiteux dont les inclusions trahissent la présence d’aiguilles de pargasite viendra conforter le gemmologue dans l’idée qu’il y a de grandes chances que la pierre provienne du Cachemire, origine la plus prestigieuse pour cette pierre. D’ailleurs, Pierre Lefèvre observe que certaines inclusions sont propres à l’origine des pierres et qu’elles peuvent aussi orienter le gemmologue sur l’âge de la pierre, ou du moins lui en donner une idée approximative.
La connaissance des inclusions
« La pratique n’est pas facile, mais nécessaire pour se faire l’oeil ».
Colin Fonteyn
Si l’apprentissage des inclusions se fait toujours par une approche théorique, une formation pratique est indispensable pour « se faire l’œil » souligne Colin Fonteyn, formateur et assistant pédagogique à la Société Royale Belge de Gemmologie (SRBG).
Pourtant, dans le système académique, l’étude des inclusions n’est pas le premier apprentissage dispensé pour identifier une pierre. Encore aujourd’hui, la plupart des écoles apprennent aux futurs gemmologues à identifier une pierre sur la base de mesures. Le réfractomètre, instrument permettant de calculer l’indice de réfraction de la lumière, est l’outil de référence pour identifier la matière de la pierre et déterminer s’il s’agit de rubis, de saphir ou autre. En revanche, cet outil a ses limites et ne permet jamais d’affirmer s’il s’agit d’une pierre naturelle ou synthétique, et encore moins de déterminer si la pierre a été traitée. C’est donc dans un second temps que les futurs gemmologues sont sensibilisés aux inclusions et sont initiés à leur interprétation. Parce qu’elle permet d’authentifier une pierre, de comprendre la chronologie d’une gemme en remontant l’histoire de sa formation, la connaissance des inclusions est pour Colin Fonteyn une base indispensable pour tout gemmologue. Permettant de différencier les pierres naturelles des pierres synthétiques ou encore de déceler d’éventuels traitements, les inclusions sont un outil d’analyse particulièrement fiable qui nécessite un long apprentissage. Si un minéral peut avoir plusieurs aspects différents — et plusieurs minéraux peuvent avoir le même aspect ! — les inclusions peuvent, de la même manière, elles aussi, prendre des apparences variées ou avoir le même aspect sans être similaires. Tout l’enjeu devient alors d’être capable de les différencier. Le recours à des techniques d’illumination est l’une des stratégies enseignées et utilisées, mais Colin Fonteyn précise que seul un certain nombre d’années de pratique et d’expérience permettront de savoir interpréter avec justesse les inclusions. Parce qu’il en existe une grande variété, il est indispensable que les gemmologues aient accès durant leur formation à tous les spécimens répertoriés. Pouvoir accéder aux différentes gemmes qui existent et observer leurs inclusions au microscope viendra compléter l’enseignement théorique initialement dispensé. En observant toutes les grandes familles et les types d’inclusions, le gemmologue se constitue un socle de références solide et acquiert les clefs de compréhension qui lui permettront de reconnaître ou de comparer des gemmes.
L’art des inclusions
« La photomicrographie permet de révéler la beauté des inclusions ».
Marine Bouvier
Bien que l’industrie de la joaillerie ne semble pas encore savoir apprécier à leur juste valeur les inclusions, certains gemmologues ont développé des méthodes permettant de révéler toute leur beauté et de mettre en avant la dimension artistique qu’elles peuvent donner à une pierre.
Marine Bouvier est une référence dans ce domaine. Fondatrice de Gemm’Education, cette formatrice en gemmologie s’est spécialisée depuis plusieurs années dans la microphotographie, une technique qui permet de photographier l’intérieur des gemmes à l’aide d’un appareil photo couplé à un microscope. Transformer l’observation des inclusions en une pratique artistique totale, c’est la démarche singulière qu’a choisie Marine Bouvier pour sensibiliser un public plus large à la science des inclusions. Cette technique photographique, qui permet de plonger au cœur de la matière, est une autre manière d’étudier les pierres et de pratiquer la gemmologie. C’est en organisant des expositions de son travail que Marine Bouvier a réalisé que son approche artistique suscitait un engouement particulier auprès d’un public non-gemmologue et parfois éloigné de l’univers de la joaillerie. Praticable par tous, la microphotographie nécessite seulement un appareillage adapté et permet d’exprimer sa créativité tout en approfondissant ses connaissances sur les inclusions. N’oublions pas que certaines inclusions sont particulièrement rares, qu’elles sont d’autant plus belles, souligne Marine Bouvier. D’ailleurs, certaines pierres sont si difficilement accessibles que plusieurs années sont parfois nécessaires pour les trouver et les avoir le privilège de les photographier.
Les inclusions et le marché
« Même si l’on a du mal à les vendre, les inclusions nous rassurent souvent ».
Emmanuel Piat
Elles sont les mal-aimées du marché. Trop souvent considérées comme des « défauts », les inclusions sont encore perçues par l’industrie de la joaillerie comme l’anti-thèse de la pierre pure et désirable. Difficiles à vendre, les pierres de couleurs possédant des inclusions sont la phobie de beaucoup de professionnels. Pourtant, le négociant-lapidaire parisien Emmanuel Piat voit les choses d’un autre point de vue et confie les apprécier parce qu’elles ont quelque chose de rassurant. Dans une profession où l’achat des pierres se fait la plupart du temps sur le terrain « gemme à la loupe », les inclusions sont généralement le seul repère du négociant pour appréhender une gemme, l’identifier et la valoriser.
Cette aversion des inclusions prend peut-être sa source dans le fait que dans l’industrie du diamant, l’inclusion altère la pureté de la pierre et donc la déprécie. Or, elles sont plus acceptables et acceptées dans le domaine des pierres de couleurs. Mais, le fait que la plupart des professionnels soient formés en premier lieu au diamant contribue au fait qu’elles restent assimilées et réduites à des « imperfections ». Pourtant, pour Emmanuel Piat, outre le fait qu’elles racontent l’histoire de la pierre, les inclusions sont un véritable « plus » à différents points de vue. D’abord, parce qu’elles peuvent être utilisées comme un repère pour identifier une gemme. Dans le cas, ou vous souhaiteriez confier votre émeraude ou votre saphir pour un serti ou un nettoyage, avoir au préalable examiné les inclusions que possède votre pierre vous permettra au moment de la restitution de la reconnaître et donc de vous assurer qu’elle n’a pas été échangée.
Parce qu’elles rendent une pierre unique, atypique ou lui donne un caractère particulier, les inclusions sont pour tout amateur de gemmes de véritables miracles géologiques. Au même titre que d’autres phénomènes, comme la ténébrescence qui est la capacité d’un minéral à changer de couleur lorsqu’il est exposé à la lumière du soleil, les inclusions sont peu considérées par le marché, mais particulièrement fascinantes d’un point de vue minéralogique. À son grand regret, Emmanuel Piat avoue aujourd’hui ne pas considérer dans son activité les inclusions comme une valeur ajoutée, car elles ne sont pas recherchées par les clients. Sensibiliser davantage l’ensemble des acteurs du métier aux inclusions est sans doute l’un des défis que les professionnels de la joaillerie doivent relever dans l’avenir.
Remerciements :
Lauriane Pinsault, Fondatrice de GeoGems, consultante et formatrice en gemmologie
Marine Bouvier, Fondatrice de Gemm’Education, formatrice en gemmologie et photomicrographe
Emmanuel Piat, PDG Piat, négociant en pierres d’exceptions
Pierre Lefèvre, Responsable département pierres de couleurs et perles à l’institut Suisse de gemmologie (SSEF)
Colin Fonteyn, Formateur en gemmologie à la Société Royale Belge de Gemmologie (SRBG)