L’oiseau comme inspiration
Merveilleuse et délicate, la plume est une matière au potentiel incroyable pour les rares artisans d’art qui savent la travailler. Si sa texture douce et aérienne lui donne au premier abord une apparence fragile, c’est en réalité un matériau incroyablement résistant. Constituée essentiellement de kératine, sa composition en fait un support particulièrement durable, capable de se conserver plusieurs siècles s’il est protégé de la lumière et de l’humidité.
Au-delà de sa structure presque incassable, la plume émerveille par sa couleur qui se décline en une palette chromatique infinie. Possédant entre 900 à 25 000 plumes, chaque oiseau se distingue par un plumage singulier. De l’autruche, qui offre les plus longues plumes, aux oiseaux marins qui détiennent les plus résistantes, c’est un matériau qui offre une pluralité de possibilités.
Turquoise, vert tendre, orange flash ou noir bleuté, la variété des coloris est elle aussi infinie. Pourtant, la couleur est générée à partir de deux types de pigments uniquement : les caroténoïdes et la mélanine. Correspondant aux pigments végétaux ingérés par les oiseaux, les caroténoïdes vont engendrer des plumes aux couleurs chaudes et flamboyantes. La mélanine, pigment biologique naturellement présent dans l’organisme de l’oiseau, est à l’origine des plumes de couleur foncée, des noirs aux bruns allant du rouge à l’ocre. Certains effets de couleurs, comme les teintes irisées ou métallisées, que l’on nomme les « couleurs structurelles », sont provoqués par la réflexion naturelle de la lumière.
L’art de la plume
Fascinante par ses propriétés chromatiques et intéressantes par son extrême solidité, la plume est un matériau au potentiel surprenant. Parce que chaque oiseau renouvelle son plumage deux fois par an, il serait tentant d’imaginer que c’est une matière facilement disponible. Pourtant, Jacques Cuisin révèle que de nombreux spécimens, extrêmement convoités pour leur plumage, sont protégés. Ainsi, certaines plumes sont aujourd’hui rares, voire presque introuvables.
Né en Amazonie il y a plusieurs siècles, l’art plumaire fut initié par les peuples amérindiens. Premiers hommes à s’approprier le plumage des oiseaux pour en faire de fantastiques parures corporelles, ils en révèlent toute la puissance décorative. Les couleurs vives et éclatantes des perroquets et oiseaux exotiques inspirent de gigantesques colliers d’apparat, des coiffes rituelles ou encore des manchettes bracelets. Ces premiers « bijoux de plume », où la couleur est centrale, vont faire naître des techniques artistiques particulièrement élaborées. Cherchant à dompter la couleur pour mieux la sublimer, les peuples d’Amazonie vont développer des procédés de coloration artificielle, comme le tapirage.
Embellissant ce que l’oiseau a de plus noble à lui offrir, les peuples d’Amazonie vont inspirer les artisans européens. Dans nos sociétés occidentales, c’est véritablement au 19e siècle que la plume devient un élément incontournable de la garde-robe féminine et que les créateurs de mode et des grands couturiers en font leur matière de prédilection. La Belle Époque sera indiscutablement l’âge d’or de la plume, que l’on retrouve sur les chapeaux des élégantes et les costumes des danseuses de cabarets.
Plumasserie et Haute Joaillerie
Jusqu’au milieu du 20e siècle, la plume prédomine dans l’art de s’habiller et un véritable savoir-faire se développe autour de cette matière luxueuse et sensuelle. Symbole de féminité absolue, elle inspire joailliers et créateurs de bijoux. En 1882, Frédéric Boucheron réinterprète son motif en un tour du cou particulièrement technique. En 1905, la maison Mellerio rend hommage à la beauté du plumage avec une broche paon transformable extrêmement technique. La couleur, est retranscrite en émail polychrome et rehaussée de 1742 diamants. Dans les années 1930, c’est Gabrielle Chanel qui fait de la plume un « bijou de diamants » en imaginant une broche iconique, Chanel rééditera d’ailleurs ce bijou en 2010.
Si sa forme a souvent inspiré les joailliers, ce n’est que très récemment que le secteur de la Haute Joaillerie a osé utiliser la plume comme matériau. En 2016, Piaget est la première maison à introduire la plumasserie dans l’univers de la Haute Joaillerie. Poussé par la volonté d’intégrer le savoir-faire des métiers d’art dans ses créations, la maison fondée par Georges-Édouard Piaget développe plusieurs pièces en collaboration avec Nelly Saunier. Elle est l’une des rares artistes à faire vivre un métier qui a presque disparu de nos jours. Entrée dans le cercle très fermé des artisans Maîtres d’Art en 2008, Nelly Saunier est considérée comme la plus grande plumassière de notre époque. Depuis plus de 30 ans, cette coloriste dans l’âme sublime les plumes pour les plus grands noms du luxe.
Parmi ses collaborations les plus remarquées et remarquables, il y a ce pull-over jacquard, entièrement plumé, qu’elle réalise pour la collection Automne/Hiver 1998-1999 de Jean-Paul Gaultier. En 2001, elle co-réalise avec la styliste Isabelle Marant « Jeanne d’Arc », une armure de plumes d’un rouge éclatant. Celui que l’on nomme « l’électron libre du design », le créateur Olivier Gagnère la sollicite également pour habiller son miroir « Omega » d’un plumage violet intense.
En 2012, Nelly Saunier introduit l’art de la plume dans l’univers de la Haute Horlogerie. Pour Harry Winston, elle sublime les cadrans d’une collection de montres avec une marqueterie de plume de paon et de faisan. Pour Van Cleef and Arpels, elle imagine une suite de cadrans décorés de plumes multicolores où l’infiniment petit se conjugue avec l’exactitude. Dès 2015, son talent de coloriste va susciter l’émerveillement de Stéphanie Sivrière, directrice artistique de Piaget. Ensemble, elles vont co-créer une collection Haute Joaillerie inédite ou la couleur se veut vibrante et hypnotisante.
Styles, techniques et transformabilité
À la différence des matériaux durs que l’on retrouve traditionnellement en joaillerie, la texture de la plume ouvre la voie à une multitude de techniques. Permettant de retranscrire des matières très complexes comme la neige ou l’effet du givre, la plume est aussi travaillée de manière à créer des effets optiques. Suggérant un coucher de soleil ou un miroir d’eau, les plumes sont magnifiées par un travail de marqueterie ou délicatement enchâssées dans le bijou.
Cet art de l’assemblage, complexe et mathématique, fait naître des motifs en trompe-l’œil stupéfiants. Les plumes se métamorphosent en feuilles de palmier et prennent des airs de végétation luxuriante. Mais lorsqu’on travaille la plume en joaillerie, l’enjeu est de parvenir à trouver la bonne combinaison entre les pierres et les plumes. L’équilibre parfait entre les couleurs reste la clef d’un bijou réussi.
Démultipliées par les jeux de lumière qu’offre la transparence des pierres, les couleurs donnent du volume et du relief au bijou.
Toutefois, ces bijoux d’un nouveau genre restent relativement sensibles à l’humidité ou à la surexposition à la lumière, et ne peuvent être portés en toute condition. Alors, pour pallier la contrainte de la fragilité, et minimiser au maximum les facteurs de risques, Piaget a le génie d’imaginer des pièces transformables. Détachable, la plume s’éclipse permettant ainsi plusieurs types de portés. Sur des pièces aussi techniques, et dont la valeur atteint parfois plusieurs centaines de milliers d’euros, il est essentiel d’offrir aux clients plusieurs alternatives, souligne Stéphanie Sivrière.
Remerciements :
- Jacques Cuisin, Conservateur, Muséum National d’Histoire Naturelle – Paris
- Nelly Saunier, Artiste Plumassière
- Stéphanie Sivrière, Directrice Artistique Piaget
- Jean-Bernard Forot, Responsable du Patrimoine Piaget