Redécouvrir la collection des joyaux de la couronne de France, c’est l’irrésistible projet dans lequel s’est lancée Anne Dion-Tenenbaum, Conservatrice en chef du Département des Objets d’Art du Musée du Louvre. Avec François Farges, professeur de minéralogie au Muséum National d’Histoire Naturelle, ils publient en 2023 une étude renouvelée de la fabuleuse collection constituée dès 1530 par François Iᵉʳ. Récompensé par le « Prix Drouot du livre d’art 2024 », cet ouvrage, offre un éclairage nouveau sur les joyaux exposés dans la galerie d’Apollon au Musée du Louvre.
Rassemblant des joyaux exceptionnels, la collection des diamants de la couronne de France est aussi merveilleuse que grandiose. Déclaré inaliénable par François 1er dès sa création en 1530, cet ensemble, composé initialement de 8 joyaux, s’est enrichi au fil des siècles avec des acquisitions faites sous la Monarchie, le Premier Empire et le Second Empire. Les souverains et empereurs qui se sont succédé ont eu le privilège de profiter de ce trésor sans jamais pouvoir le posséder, car l’État en est seul propriétaire. Au-delà de leur fonction symbolique, les joyaux de la couronne de France ont toujours constitué un capital financier important pour l’État. Régulièrement mis en gage par la France pour contacter des emprunts et financer des campagnes militaires, les diamants de la Couronne ont toujours réintégré la collection. Toutefois, plusieurs pierres connurent un destin rocambolesque, notamment celles qui furent dérobées lors du vol de septembre 1792. Si la plupart des joyaux, comme le Régent, exceptionnel diamant de 140,50 carats ou le Sancy, diamant en forme de poire pesant 55,23 carats, furent retrouvés, le Bleu de France, plus grand diamant bleu jamais découvert, fut relocalisé aux États-Unis seulement des années plus tard. Rebaptisé Diamant Hope, la pierre, qui ornait la Toison d’Or de Louis XV au moment du vol, a été retaillée, passant de 69 à 45,52 carats. Exposé au National Museum of Natural History de Washington, le Bleu de France n’a jamais réintégré la collection des Joyaux de la Couronne. Mais si la Collection des Diamants de la couronne est si difficile à appréhender, c’est simplement parce que les pierres précieuses qu’elles comptent ont sans cesse été montées et démontées pour s’adapter aux styles et aux besoins des rois, reines, princes et impératrices qui se sont succédé du 16ᵉ siècle à la fin du Second Empire. Ainsi, une multitude de bijoux et d’insignes royaux ont eu une existence éphémère et ne sont connus qu’à travers la description qui en fut faite dans les différents inventaires de ce trésor.
La vente des Joyaux de la Couronne en 1887
Affaiblie par la guerre franco-prussienne de 1870 qui entraîna la chute du Second Empire, la France envisage de se séparer des joyaux de la Couronne en décembre 1886. Le 11 janvier 1887, sous la Troisième République, ce trésor est déclaré aliénable, et le projet de sa dispersion aux enchères est acté. Mais cette vente divise : faut-il vendre l’intégralité des joyaux ou faut-il faire entrer certaines pièces dans les collections nationales ?
Un comité d’expertise, chargé de la sauvegarde des bijoux et gemmes les plus iconiques, sélectionne 8 joyaux qu’il répartit dans les collections du Musée d’Histoire Naturelle et du Musée du Louvre. Des pierres extraordinaires comme le Régent, le spinelle Côte-de-Bretagne, plus ancien joyau de la Couronne, ainsi que certains « Mazarins », ces diamants légués en 1661 par le Cardinal Mazarin à Louis XIV, vont pouvoir rester la propriété de l’État.
Malgré la mobilisation d’importants joailliers et historiens, le reste de la collection est mis aux enchères les 12 et 13 mai 1887. Le catalogue de cette vente, illustré par des clichés de grande qualité du photographe Michel Berthaud, est un objet d’étude particulièrement précieux. Grâce à ce document, de nombreux bijoux et pierres peuvent être encore aujourd’hui identifiés lorsqu’ils réapparaissent sur le marché. En revanche, si ce catalogue de vente servi de support pour l’étude des joyaux de la couronne à de nombreux historiens, le joaillier Germain Bapts alerte sur le fait qu’il comporte de nombreuses inexactitudes et qu’en réalité plusieurs joyaux de la Couronne de France sont entrés « par erreur » dans les collections nationales. Dans son livre intitulé « Histoire des Joyaux de la Couronne de France », publié en 1889, Germain Bapts annonce que par exemple la broche dite « reliquaire » de l’impératrice Eugénie fut sélectionnée par le comité d’expertise en pensant qu’il s’agissait d’un bijou du 18ᵉ siècle, or la réalisation fut exécuté au 19e siècle par Paul-Alfred Bapts, dernier joaillier de la Couronne. Toutefois, sans le savoir, les experts ont miraculeusement fait entrer dans les collections nationales les 17ᵉ et 18ᵉ Mazarins, deux diamants utilisés par Louis XIV comme boutons de justaucorps. Pourtant, la commission d’expert avait bien eu l’intention de faire entrer dans les collections un Mazarin. La pierre retenue était un diamant rose à 5 pans dit Diamant Hortensia, qui orne le peigne à pampilles de l’impératrice Eugénie. Si cette pierre fut bien portée par Louis XIV à sa boutonnière, Germain Bats révèle qu’elle est répertoriée pour la première fois dans l’inventaire de la couronne en 1691 et aurait été acquis directement par Louis XIV auprès de Jean Pitan, jeune joaillier du Roi. La vente de 1887, dont le catalogue comportait de multiples informations erronées, a engendré de nombreuses confusions dans l’étude des Joyaux de la Couronne. Toutefois, grâce aux écrits de Germain Bapts, puis au livre de Bernard Morel, « Les Joyaux de la Couronne de France. Les objets du sacre des rois et des reines » paru en 1988, plusieurs joyaux ont pu être réhabilités.
Les moulages d’Adolphe Devin
Depuis 1988, une découverte a permis de renouveler la connaissance de cette collection mythique, de reconstituer l’histoire de certains diamants et d’en apprendre davantage sur les joyaux qui, à ce jour, n’ont pas été relocalisés. Dans les collections nationales, deux boîtes, exemptes de numéros d’inventaires, furent redécouvertes. À l’intérieur, plusieurs moulages anciens en plomb et en plâtre attendaient d’être minutieusement étudiés. Réalisés sous le Second Empire, à l’initiative de l’inspecteur joaillier Adolphe Devin, alors en charge de l’entretien et de la gestion des collections de la couronne, ces moulages sont de précieux témoignages en 3D des pierres et des bijoux anciens qui furent démontés et transformés dans la seconde moitié du XIXᵉ siècle. Ces moulages auraient servi à réaliser plusieurs fac-similés, mais tous ont été cédés lors de la vente de 1887. Adolphe Devin, comme de nombreux joailliers, avait pris conscience que si la réutilisation infinie des pierres et métaux précieux permettait de renouveler la collection de la Couronne de France, elle engendrait inévitablement une perte d’informations et de connaissances. Comment raconter l’histoire de la collection des Diamants de la Couronne si l’on ne conserve pas une trace de ce patrimoine joaillier et si les pièces les plus symboliques ne sont pas rigoureusement documentées ?
La découverte des moulages commandés par Adolphe Devin a largement contribué à enrichir les connaissances sur les Joyaux de la Couronne. L’ouvrage d’Anne Dion-Tenenbaum donne à espérer que l’ensemble des fac-similés pourront un jour ressurgir et réintégrer les collections du Louvre ! Depuis les années 1970, le musée a fait l’acquisition de plusieurs joyaux emblématiques. Le Sancy fut racheté en 1976, le Diadème en perles de l’Impératrice Eugénie réalisé par le joaillier Gabriel Lemmonier fut acquis en 1992, et son Grand nœud de corsage, exécuté par François Kramer, est depuis 2008 exposé dans les vitrines centrales de la Galerie d’Apollon.
Pour aller plus loin :
Les diamants de la Couronne
Anne Dion-Tenenbaum avec la contribution de Daniel Alcouffe, Marc Bascou, Michèle Bimbenet-Privat, François Farges, Éditions Faton et Louvre Editions , 2023
Histoire des Joyaux de la Couronne de France
Germain Bapts, Hachette, 1889